Les hommes dans les métiers dits «féminins»



Combien d’hommes de ménage connaissez-vous ? Combien d’assistants de vie ou d’aides à domicile ? Retour sur les causes de cette rareté d’hommes dans les métiers dits « de femmes ».


Pourquoi parle-t-on de « métiers de femmes » ou « d’hommes » ?

Il existe 88 familles de métiers selon le rapport Femmes et hommes, l’égalité en question de l’INSEE paru en mars 2022. Parmi ces familles professionnelles se trouve celle des employé·es de services privés, comprenant les métiers d’agent·e d’entretien, d’aide à domicile ou d’aide ménager·e. Au niveau national, 71 % des agent·es d’entretien sont des femmes ; chez les aides à domicile et les aides ménager·es, leur proportion est de 95 %.

En Provence-Alpes-Côte d’Azur, les emplois du secteur des services à la personne étaient occupés à 87 % par des femmes en 2016 selon une étude de l’Observatoire régional des métiers, récemment renommé Carif-Oref. Ces constats aident à comprendre le type de métiers auxquels on fait référence lorsque l’on parle de « métiers de femmes ». En effet, les hommes s’y font rarissimes.

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La (non) mixité des métiers et ses causes

Selon l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE), « le principe de la mixité réside dans la possibilité pour toute personne d’accéder à n’importe quel métier et à n’importe quel niveau de responsabilité », en fonction de ses aptitudes et indépendamment de son genre. Ça, c’est la définition théorique ; en pratique, un métier est considéré comme étant mixte lorsqu’il est exercé par des femmes et par des hommes à des proportions comprises entre 40 % et 60 % pour chaque genre. Ça encore, c’est l’idéal ; la réalité est que, pour atteindre cet objectif, il faudrait que près de 52 % des femmes et des hommes changent de profession, toujours selon l’ORSE sur la base des enquêtes Emploi 1982-2013 de l’Insee et des calculs de la Dares.

La non-mixité des métiers a une cause principale : les stéréotypes. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes définit les stéréotypes comme « des représentations schématiques et globalisantes sur ce que sont et ne sont pas les filles et les garçons, les femmes et les hommes ». Ce sont les stéréotypes qui expliquent l’attribution de certaines fonctions comme la direction, la prise de décision ou l’action technique aux hommes, et d’autres, comme le soin aux autres, l’éducation des enfants ou l’organisation domestique aux femmes. En plus de cette attribution genrée, les stéréotypes motivent également la valorisation différente de ces fonctions : ainsi, celles attribuées aux hommes sont plus valorisées socialement que celles assignées aux femmes (meilleurs salaires, meilleure reconnaissance sociale, meilleures conditions de travail…).

Loin de rester « de simples idées », les stéréotypes ont un triple impact qui peut s’avérer délétère :

  • Ils peuvent amener des discriminations : un employeur avec une vision stérétoypée sur le genre peut faire preuve de comportements discriminatoires en refusant d’embaucher des hommes dans son entreprise de nettoyage ;
  • L’intériorisation des stéréotypes peut créer des biais inconscients susceptibles de limiter le pouvoir d’action des individus ; ainsi, un homme qui aurait intériorisé des stéréotypes de genre pourrait hésiter à se lancer dans une carrière dans le secteur de la petite enfance car il s’agirait d’un domaine « féminin » ;
  • Enfin, l’intériorisation des stéréotypes peut conduire à une perte d’efficacité : le chercheur états-unien Claude Steele a théorisé en effet ce qu’il appelle « la menace du stéréotype », théorie confirmée lors d’une expérience renouvelée en 1999 qui consistait à faire résoudre un problème mathématique par deux groupes mixtes en termes de genre. Le premier groupe n’a pas reçu de consigne particulière, alors que le deuxième s’est vu dire que femmes et hommes réussissaient pareillement l’exercice. De manière éloquente, les femmes du premier groupe ont moins bien réussi que leurs homologues masculins, alors que les résultats dans le deuxième groupe ont été équivalents entre les deux genres. La différence ? Les femmes du premier groupe se sont conformées au stéréotype selon lequel elles seraient moins douées que les hommes en mathématiques, alors que celles du deuxième groupe ont pu consciemment dépasser cette pensée limitante, aidées par la consigne qui leur rappelle que femmes et hommes sont également capables intellectuellement.
Source : Site internet du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles en Provence-Alpes-Côte d’Azur


Un exemple : le secteur des services à la personne

Selon le CARIF-OREF, les entreprises qui réussissent à atteindre la mixité sont celles qui ancrent leur démarche dans le territoire où elles sont implantées. En l’occurrence, le secteur des services à la personne (SAP) est particulièrement développé dans notre territoire, Provence-Alpes-Côte d’Azur : selon l’Observatoire régional des métiers de l’époque, entre 2015 et 2025 le nombre de ménages qui auront recours aux services à la personne augmentera de 17 %. En 2011, 10,7 % de la population régionale avait recours aux SAP, majoritairement dans le Var, le Vaucluse et les Alpes-de-Haute-Provence, toujours selon l’anciennement nommé Observatoire régional des métiers. En 2016, ce secteur représentait, selon le CARIF-OREF, 5 % de l’emploi salarié dans notre région, et les besoins de recrutement ne feront que s’accroître dans un contexte démographique de vieillissement avec la dépendance que cela entraîne. Pour subvenir à une telle demande, ce secteur ultra-féminisé ne peut pas faire l’économie des hommes.

S’il est vrai que les conditions de travail sont peu valorisées (temps partiels, multi-employeurs, turn over…), les métiers des SAP connaissent tout de même une forte professionnalisation récente et d’importantes évolutions technologiques, juridiques et de financement du secteur. Les conditions de travail dans le secteur des SAP devront continuer de s’améliorer si le but est d’y attirer davantage d’hommes, moins enclins à accepter la précarité du fait de leur place dominante dans la société.

Pour les courageux qui franchissent le pas et se lancent dans un métier féminisé, par exemple dans le domaine des SAP, l’intégration se fait petit à petit : dans son étude de 2016, l’Observatoire régional des métiers de l’époque évoque le cas d’un auxiliaire de vie sociale et ses stratégies pour se faire accepter par l’employeur et la/le client·e : « Je signale à l’employeur que je souhaite d’abord entretenir le cadre de vie de la personne chez qui j’interviens. Au bout d’une à deux semaines, elle est en confiance, je peux alors intervenir sur des soins, des toilettes… ».




La mixité n’est pas synonyme d’égalité, mais elle aide à la construire

Fait qui peut sembler étonnant de prime abord mais qui l’est moins lorsqu’on y réfléchit bien, les hommes dans les services à la personne sont mieux acceptés que les femmes qui font le pari d’un métier masculinisé. Plus encore, les hommes qui intègrent des secteurs professionnels féminisés se voient attribuer des fonctions plus valorisées : des postes plus élevés dans la hiérarchie, des emplois aux conditions de travail plus favorables… Cela prouve que se contenter de la mixité professionnelle en négligeant les efforts pour faire advenir une véritable égalité serait une erreur.

Cela dit, il n’en reste pas moins que la non-mixité des métiers empêche les individus d’occuper n’importe quel métier et n’importe quel niveau de responsabilité. Elle est due à des stéréotypes pouvant entraîner des discriminations, des comportements auto-limitants ou des pertes d’efficacité. Il existe une pluralité de leviers pour contribuer à la mixité des métiers, tous dépendants d’une vraie volonté des organisations. L’enjeu est particulièrement important dans les secteurs professionnels en tension comme celui des services à la personne, aussi bien en Provence-Alpes-Côte d’Azur que partout en Occident.

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